Enjeu de l’eau au grand Sahara
par Chekib Abdessalam et Abderrahmane Mekkaoui
Entre mauvaise gouvernance et stress hydrique
Avant de pouvoir évaluer la gestion de l’eau au Sahara dans les régions du Touat, de la Saoura, de la Tajakant, du Tidikelt et de l’Ahaggar, il faut avant tout comprendre en quoi consistent les ressources hydriques et le patrimoine hydraulique dans ces zones arides, souvent hyper-arides, parfois a-biologiques.
1 - Les ressources
D’une manière générale, les ressources hydriques sont inégalement réparties dans ces zones. Elles sont d’origines diverses, cependant toutes fragiles et pour les plus importantes, les eaux fossiles, immenses mais non-renouvelables.
a- La nappe albienne
Principale nappe d’eau potable fossile gigantesque, la nappe de l’Albien s’étend à l’ouest de Béchar et de Beni-Abbès jusqu’au Sud de la Tunisie, et, à l’Est de Ghadamès jusqu’au centre de la Libye pour atteindre au Sud l’adrar Ahnet et le piedmont de l’Ahaggar au Sud du plateau du Tadmaït. Il s’agit de la plus grande nappe d’eau fossile souterraine de la planète saumâtre ou au goût amer. Elle se situe entre l’Atlas saharien, l’Ahaggar et la Tripolitaine. En effet, la nappe albienne saharienne se trouve dans les couches sédimentaires où se trouvent également les hydrocarbures. Elle s’arrête où commence l’Ahaggar, affleurement rocheux d’un bombement de l’écorce terrestre qui date de 4,5 milliards d’année (anté-cambrien, granits et schistes) entremêlé de cinq massifs d’un très jeune volcanisme (7,5 millions années).
b – La nappe phréatique
Dans les régions de la nappe de l’Albien, appelé aussi aquifère profond ou Continental intercalaire, non renouvelable, et autour, se trouvent également des ressources hydriques d’origine pluviale locale ou provenant de l’écoulement ou d’infiltrations de l’eau des pluies de l’Ahaggar, d’une part, et de la fonte des neiges du Haut-Atlas marocain, d’autre part. Le régime pluvial demeure propre à chaque région.
2 - Enjeu de l’eau dans l’espace sahelo-saharien, défi majeur du 21e siècle
L’eau, appelée aussi or bleu, est une richesse particulièrement majeure dans le grand Sahara que l’on peut gagner ou perdre. Une question de vie ou de mort. Le proverbe touareg dit amane imane : l’eau c’est la vie. Selon Franck Galland, auteur de Guerre et eau, aux éditions Robert Laffond, 150 millions de Sahéliens ont vu diminuer de 40% leurs ressources en eau ces 20 dernières années. La question de l’eau, source de conflit et de famine, est corrélée au changement climatique et à sa gestion.
En raison d’une déplorable gestion des ressources naturelles, les populations subissent des pénuries chroniques parfois catastrophiques. La rareté et la mauvaise qualité de l’eau distribuée sont dues à l’impact négatif du pillage et de la mauvaise gouvernance qui se répercutent sur la sécurité alimentaire, la santé et les conditions de vie des personnes défavorisées, sur l’agriculture, le pastoralisme, le commerce, le transport, toutes activités traditionnelles autrefois florissantes. Le fait que l’eau soit indispensable est indéniable. Dans le futur, cette ressource sera de plus en plus convoitée, aussi, mettre en danger sa durabilité tendra à pérenniser un agent prédominant d’insécurité et d’instabilité qui maintiendra la population du Sahara dans la pauvreté et alimentera les conflits politiques.
Historiquement, la gestion et l’exploitation de l’eau, avant et pendant le colonialisme européen, était bien régulée entre les hommes et les tribus par des mécanismes précis respectés par tous les acteurs du Sahara depuis deux millénaires de climat désertique. Aujourd’hui, dans cette Afrique indépendante qui ne cesse de se gargariser de mots creux tendant à l’exonérer de ses responsabilités, la ressource est dilapidée ou gravement impactée par les agressions et pollutions multiples, notamment, celles dues à l’exploitation des hydrocarbures et du gaz de schiste, 24h sur 24h, 365 jours sur 365. En conséquence, nous assistons à un endommagement irrémédiable de l’écosystème pleinement dû à un double facteur anthropique : la surexploitation des hydrocarbures et une gestion désastreuse qui consiste à manager la négativité et le pis aller. (Voir en ce sens l’ouvrage Écocide, de Chekib Abdessalam, collection Allure saharienne, préface Myriem Deffairi, Éditions Alfabarre, Paris, 2020).
3 - Le Sahara oriental contemporain
a- Du néant au bagne
La première période qui suit les « indépendances », et donc le tracé colonial des frontières et la création de toute pièce de l’État-nation, est marquée en ce qui concerne l’Algérie par le néant ou absence du « Nord » et par la présence du génie et du dynamisme saharien qui perdure. Les foggaras en sont le point d’orgue, galeries souterraines pour assurer la fourniture de l’eau de son point de départ au-dessus de la nappe, tantôt phréatique, tantôt albienne. La foggara se caractérise par une galerie transversale filtrante d’une efficacité optimale.
Pourtant, force est de constater que les motopompes ont remplacé les foggaras. Les moto-pompes sont emblématiques d’une politique étatique du moindre effort et de la facilité en l’absence d’une véritable planification et modernisation intelligente des pratiques et des techniques. Ils sont responsables de l’abaissement de la nappe phréatique à tel point que, désormais, les foggaras tombent à sec ou sont abandonnées. Dans les palmeraies des entrepreneurs peu scrupuleux arrachent des palmiers au bulldozer. L’eau n’est plus filtrée par le drainage souvent sur plusieurs kilomètres aérés par des trous qui ressemblent eux-mêmes à des puits qui permettent la circulation de l’air tout en évitant l’ensoleillement, la chaleur et l’évaporation. L’eau est collectée par gravité car les foggaras suivent une forme de pente douce au long de son trajet sous-terrain.
Aujourd’hui, à l’état d’abandon dans les agglomérations les plus importantes, elles ne subsistent que dans certains ksours ou kasbahs enclavés où les agriculteurs sahariens autrefois experts font face à la fois à la raréfaction des savoirs-faire, à la démographie, à l’exode rural, mais aussi au manque de main d’œuvre en raison de l’hémorragie provoquée par les emplois dans les hydrocarbures et le secteur des mines, l’émigration régionale, voire transcontinentale. Le Sahara sert avant tout de prison (prisonniers politiques et répression des jeunes Touaregs) et de rente pétrolière (sans laquelle l’Algérie ne serait pas).
b- Alger colonise le Sahara oriental
Malheureusement, le colonialisme administratif et militaire du nord (Alger) concentre ses efforts sur la construction d’infrastructures administratives, de casernes, de prisons. Ce colonialisme autoritaire algérien provoque également au Sahara un déséquilibre démographique ou colonialisme de peuplement que n’a jamais connu la région. On assiste peu à peu à la fin des structures et du savoir traditionnels. Tout est fait pour provoquer un antagonisme sociétal par la sédentarisation forcée des nomades et l’arrivée d’un mode de vie subséquent à l’exploitation des hydrocarbures. Des plans types inadaptés sont mis en œuvre par des cadres incompétents et mutés dans les régions sahariennes à titre disciplinaire. Ils ne sont là que pour s’enrichir, par l’octroi aux salariés de primes de soleil, d’indemnités de frais de résidence et d’isolement qui doublent ou triplent leur revenus. Quant aux fonctionnaires, ils s’adonnent à toute sortes de trafics, de passe-droits et de corruption érigés en système.
c- Surexploitation, pollution et destruction
Le cas crucial d’In Salah est caractérisé par l’exploitation catastrophique du gaz de schiste. Un seul puits de schiste horizontal unique peut utiliser jusqu’à 10 millions de gallons d’eau. Soit 37 millions de litres d’eau. Surréaliste. En plus cette eau est mélangée à 900 produits chimiques. À tel point qu’elle en devient inflammable. Le tout volatile. Proliférant à la surface ou s’infiltrant. Disséminé dans le désert, une terre violentée.
Par ailleurs, l’implication des moyens de la Sonatrach (société algérienne des hydrocarbures) dans la pollution des nappes phréatiques est avérée. Les peintures rupestres du néolithique, elles-mêmes, patrimoine mondial, sont recouvertes de particules fines d’hydrocarbures. Les satellites constatent cette pollution au niveau de l’atmosphère terrestre. La pollution générée par les champs pétroliers et gaziers du Sahara est visible de l’espace. Les techniques de forage hydraulique à 450 m de profondeur au lieu de 50 m sont opérées en violation du droit international. Il en est ainsi au niveau du barrage de Jorf AlTorba à Béchar, alimenté par les eaux du Haut Atlas.
L’orpaillage qui sévit dans l’ensemble du grand Sahara n’épargne pas non plus les ressources en eau qui sont empoisonnées et l’environnement qui est souillé.
Les décisions diverses et anarchiques d’Alger accentuent ces dérives. Cerise sur le gâteau, la quasi totalité des gisements sont sous état de siège (zones militaires interdites aux populations dans des rayons de 50 kms). Aucune limite ou contrôle, ni application de la moindre loi ou réglementation locale, moins encore en ce qui concerne les dispositions et engagements en matière de traités, accords ou conventions internationaux.
4 - Gestion de l’eau, remède au changement climatique
Aucune sanction à l’égard d’une pollution qui touche toute la planète. Aucune mesure ni contrôle ne sont mis en œuvre en vue de réduire les émissions de carbone dans le cadre d’une politique globale énergie-climat.
C’est exactement ce qu’avaient compris nos ancêtres nomades ou sédentaires du Sahara depuis plus de 2000 ans de désertification. Pour survivre en zone aride, plus est, dans les grands espaces naturels, les oasis, les casbahs et les ksours, ils ont toujours su déployer de véritables stratégies d’hyper-adaptation à leur milieu naturel comme il en est de la flore et de la faune.
Aujourd’hui, plus de la moitié de la population saharienne est privée d’accès à l’eau potable courante et à un système d’assainissement décent. Les capitaux destinés à ces projets se sont sans doute évaporés dans la nature comme ceux destinés à la « révolution agraire », la « révolution pastorale », au « barrage vert », et autres stratégies mal pensées de lutte contre la désertification. Les effets de l’écocide se font sentir sur la santé publique et menacent la biodiversité au pays des hyper-adaptations et des biotopes millénaires où chacun savait parfaitement capitaliser une niche écologique avérée. La surexploitation actuelle du système aquifère entraîne une salinisation de l’eau et annonce une disparition de l’artésianisme par perturbation de la pression de l’eau des nappes souterraines.
En un mot, nous assistons à un écocide, à la vitesse grand V, de l’économie et de la culture oasienne. Nous sommes bien au cœur de l’anthropocène, ce cauchemar de l’avènement des hommes comme force principale de bouleversement et de désordre planétaire.
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