CEDEAO, stop aux Tirailleurs putschistes

CEDEAO, stop aux Tirailleurs putschistes


par Chekib Abdessalam



La conquête

Les officiers coloniaux français recrutent et forment le corps des Tirailleurs soudanais qui vont perpétrer les grands massacres préludes à la colonisation de l’AOF.

Un petit rappel historique s’impose.



En effet, les armées coloniales sont très faibles en nombre, surtout majoritairement constituées de soldats africains, encadrés par des officiers européens en petit nombre. L’armée française en Afrique de l’Ouest est composée essentiellement de « tirailleurs sénégalais », venant de toute l’Afrique de l’Ouest et centrale.

En 1883, l’armée française, dirigée par Gustave Borgnis-Desbordes s’était déjà emparée de Bamako. Elle se dirigera vers Tombouctou avec ses canonières.

Plus au Nord, au centre du Sahara, la résistance des Mourabitounes et des Chérifiens, des Bachas marocains de la Tajakant, du Gourara, du Touat et du Tidikelt, connaîtra son apogée dans les batailles sucessives de Timimoun, de Mniaa (El-Goléa), d’In Ghar et d’In Salah, dirigées par les bachas Timi et Bajouda, par les chorfas de Moulay Abderrahmane, les caïds des tribus nomades ou semi-sédentaires telles que les héroïques Dghamcha ainsi que par les savants oulamas Peuls, Kountas et Touatis, renforcés par les cavaliers intrépides marocains des Ouled Sidi-Cheikh, Aboubakrine ou Zoua, rattachés à la zaouiyat d’Al-Abiod sidi Cheikh qui continueront la lutte jusqu’en Azawad dans la région du Tilemsi et de la Merkouba.

Cette résistance est précédée de la célèbre bataille connue dans la littérature coloniale sous le nom de “massacre de la mission Flatters” dans le Sahara en février 1881. Au temps de l’aménokal des Kel Ahaggar, Ahitaghel, aprés avoir dévié la colonne Flatters de plusieurs centaines de kilomètres à l’est de sa trajectoire normale, les guerriers Ahaggar vont infliger une cinglante défaite à l’armée coloniale commandée alors par le colonel Flatters. La bataille aura lieu aux trois puits d’Inouhaouen (ou In Ohahen). Elle va marquer les esprits, retardera de plus de vingt ans le retour de l’armée coloniale en Ahaggar. Puis de 1902 à 1918, une résistance à la pénétration coloniale notament marquée par la bataille de Tiguet n’Illamane en 1910, se terminera par un accord tacite qui n’autorisera qu’une présence à Taghaouhaout et à Tamanrasset des forts Matilinsky et Laperrine. Toute ingérence dans les affaires concernant la société touarègue Ahaggar doit être dûment autorisée par consultation de l’aménokal. Il en sera ainsi jusque dans les années soixante, un demi siècle plus tard.

Les kel Ajjers, Ouraghen et Imanen de Cheikh Amoud, vont eux aussi diriger une résistance dans les massifs du Tassili n’Ajjer, de l’Akakous, du Medak et du Fezzan.

Plus au Sud, la sinistre mission Voulet-Chanoine en 1889 jusqu’au Damergou et Zinder, les missions de 1892 et 1893 vont entrainer les prises de Mobti, de Djenné. À la fin du 19e siècle, la troupe du colonel Bonnier affronte les Touaregs Kel Intissar, Tenguerif et Ifoghas. Ces affrontements se terminent malgré tout par la prise de Tombouctou et d’une partie de l’Azawad. À Takoubao pourtant, sur un effectif de 95 hommes de la troupe de Bonnier, 94 sont tués, dont seulement 14 officiers et sous-officiers français, et 80 tirailleurs auxiliaires dits « sénégalais » principalement enrolés dans les villages de la minorité Bambara ou Bamanan.

La résistance s’organise dans l’Adrar des Ifoghas, en Azaouad au Sud-Est, jusqu’à la bataille d’Ader Ambouken prés de Ménaka, dirigée par l’aménokal Fihrun. Les Icheriffen et, en Azaouagh, les Iwoullimiden mettent fin aux combats meurtriers en janvier 1903.

L’Air, la Tagama et le sultanat d’Agadez seront aussi en résistance farouche sous la direction du valeureux stratège et tacticien Kaoucen et de l’aménokal des Ikazkazen contre les troupes coloniales françaises et de l’armée britannique dépêchées en renfort de Kano et de Sokoto. Malgré cette coalition, l’armée coloniale des Tirailleurs mettra un quart de siècle pour venir à bout de la résistance touarègue au Niger actuel. Les guerriers de Kaoucen se réfugient au Tibesti, dans l’Ennedi et au Darfour, actuel Soudan oriental.

Autrefois, ville des lumières sur le modèle des anciennes capitales du savoir d’Andalousie, Cordoue, Séville, Grenade, Murcie, Tolède, d’Orient et du Maroc, Fes, Marrakech, Tlemcen, Sijelmassa, Chinguet, Timi, Tamegrout, Mazouna, Meknes, Sebta, etc, Tombouctou, dont les deux quartiers du centre sont celui des Marrakchis et celui des Fassis, ville de culture et de négoce, rayonne jusqu’au Ghana, en pays Akan, jusqu’au Fouta Jalon et au Fouta Toro, jusqu’à Darou Salam, jusqu’à Sokoto, Kano, Kaduna, Katsina, Zinder, Maroua, le pays de Ouaga, le pays de Kankan. Les manuscrits de Tombouctou, patrimoine universel, sont suffisament éloquents à ce sujet. En effet, Tombouctou, ville des 333 saints et savants, comptait entre 20 et 25 000 étudiants, venant de toute l’Afrique de l’Ouest, du 17e au 19e siècles. À la prise de la ville par l’armée coloniale, elle devient alors, tristement, une ville-garnison pour les troupes coloniales au Sahara soudanais. Tombouctou était alors une ville de plus de 100 000 habitants lettrés, érudits et policés, déjà aux temps anciens des Sanhaja et Ilemten, héritiers des anciens royaumes d’Aoudaghost et de Oualata. Aujourd’hui, il suffit d’évoquer le “zamane” du Bacha Jouder. À l’arrivée des troupes de Faidherbe, par contre, Bamako n’était qu’un petit village de 600 habitants. Enfin, la première capitale du Soudan français sera Kayes.

Les grands perdants du colonialisme version Tirailleurs seront les confédérations touarègues, les grands nomades sahariens et les nombreux émirats Peuls de Darou Salam à Maroua en passant par Sokoto.

Genèse des armées putschistes du Soudan occidental au Soudan oriental

Le féroce général Mangin alors colonel appelle ses tirailleurs soudanais, la force noire. Il sera lui-même surnommé le boucher au Maroc puis durant la première guerre mondiale, le buveur de sang. Mangin sera écarté par Georges Clémenceau. Aprés la boucherie du Chemin des Dames (1ère guerre mondiale), il tombe en disgrâce mais conserve sa statue en plein coeur de Paris (75007) devant l’église Saint-François-Xavier en 2023, non loin de l’École militaire.

Voilà un bref aperçu du contexte dans lequel sont créés à partir des contingents de tirailleurs de la coloniale, le noyau des futures armées des États-créations-coloniales du 20e siècle lors de l’épopée des fausses indépendances en AOF et en AFN.

Ce sont ces tirailleurs qui s’adonnent à la triste besogne de tuer leurs frères africains, d’incendier les villages, de pendre les habitants aux arbres, de piller l’Afrique pour le compte du colon qui vont constituer l’embryon d’armée de chacun des pays créés de toute pièce par la puissance coloniale insérés d’office à l’intérieur de frontières coloniales artificielles tracées à l’équerre selon les intérêts bien compris du dessinateur en chef. Le colonisateur bienveillant offre, alors, à ses chouchous une indépendance factice.

Le premier régiment de Tirailleurs (1er RTS), créé en 1884, sera dissout en 1958 pour devenir le 61e RIMa de Mauritanie. Au Sénégal, le 1er régiment interarmes d’outre-mer (1er RIAOM) perpétue l’héritage du RTS jusqu’en 1974. On peut citer, à titre d’exemple, les tirailleurs inclus dans la future armée mauritanienne qui participent, sur ordre, à l’opération franco-espagnole dite “Écouvillon” juste avant la création d’un État mauritanien, ou l’exemple des supplétifs ou harkis intégrés dans les UFL (Unités de Force locale) en Algérie en 1962 ou des faux déserteurs de l’armée française (Daf) intégrés dans l’armée des frontières de Boumedienne en Tunisie auxquels il faut ajouter les anciens d’Indochine, de Cayenne, des Iles et autres Dom-Tom.

Le premier bataillon des RTS est dispatché entre Kati, Bamako, Koulikoro, Bandiagara, Mobti, et Tombouctou. Le deuxième, entre Bobo-Dioulasso, Sikasso, Ségou, Gaoua et Ouagadougou. Le troisième, entre Dori, Niamey, Eghef n’Amane, Gao et Tombouctou. Enfin, le quatrième, à Kayes, Zinder, Bakel et Nioro. Ces BRTS seront présent jusque dans l’Oubangui-Chari.

On peut citer, parmi tant d’autres, les noms de tirailleurs notables tels que Sei Koné, Cheikou Cissé, Lamine Senghor, Bakary Diallo, Kamba Samoura, Balla Koné, Noukoun Koné, Boubacar Traoré, Dousso Wologuem, Abdoulaye Soumaré, Moriba Doumbia, etc.

Pas d’Imouhar. Pas d’Imejaghen ou guerriers Tamacheks.

(À titre anecdotique, pour le fun, le seul cas de pseudo enrôlement aura lieu à Tamanrasset, le jour où le lieutenant Cotenest distribuera des paquetages et des fusils à des Touaregs Dag Ghali de l’Atakor n’Ahaggar pour qu’ils simulent une revue lors d’une inspection de son supérieur le général Laperrine venu d’In Salah. Lorsque la revue sera terminée, le lieutenant fera semblant de rien mais les Dag Ghali vont rejoindre l’oued Aguenar et y jeter tous leurs paquetages. ElKheir, poète des Ouled Ghali, composera une mémorable poésie de tradition orale humouristique au lieu dit Aguenar avant que chacun ne rejoigne son campement dans les contreforts de l’Ahaggar.)

Kati, berceau historique de la dérive

Ainsi l’école militaire de Kati, sera crée des le début du 20e siècle comme école de Tirailleurs soudanais. Au delà des classiques, des tirailleurs aux enfants de troupe, Kati demeure le réceptacle reproducteur d’une culture de la gachette, du crime, de la violence et de l’impunité de l’uniforme.

Le cycle des massacres ressurgit à Tin Tibaradine, lorsque l’armée nigérienne execute sans jugement, le 7 mai 1990, 240 Touaregs. Si les armées du Sahel ne sont pas occupées à massacrer ou à rackéter les Touaregs et les populations sans défense, elles s’adonnent à l’assassinat d’un président-général, au coup de force militaire et à la gestion des “mises en garde” ou état d’urgence de régions entières.

Voici donc un simple aperçu rapide du processus de formation et de développement des armées de ces pays qui composent la fameuse françafrique autrefois adulée, aujourd’hui tant décriée, par les mêmes. Aprés la françafrique, la françalgérie, la francivoire, peut-être maintenant, pour maintenir la tradition, la russafrique ou la chinafrique, qui sait ? Une nouvelle aventure RTS-Wagner ?

Il s'agit bien de Kati où se trament les coups d'État à répétition

La CEDEAO hausse le ton

Ayant tenté de cerner de plus prés cette pathologie ou enchaînement de faits et causes qui ont abouti au goût, à la répétition et à la banalisation du coup de force, de la brutalité ou grossièreté des juntes, appliqué au cas du Niger, en cet été 2023, la CEDEAO semble plus ferme que d’habitude, plus résolue à ne point accepter un énième coup de main d’un militaire qui se sentant menacé dans le poste qu’il occupe, décide de se maintenir par la force et d’outrepasser ses pouvoirs pour ce faire.

Le militaire, tout gradé qu’il soit, doit désormais comprendre clairement qu’il doit obéir aux lois qui régissent la société dans laquelle il vit et qu’il n’est ni au Far-West, ni dans une super-production star-wars dans laquelle il serait le héros fantasmé et le redresseur de torts. Encore moins, le supplétif d’un quelconque colonisateur. Nostalgique du passé, les étoiles ou les épaulettes ne sont pas un blanc-seing au pouvoir absolu ou synonyme de liberté de manoeuvre pour un système mafieux qui n’a cure d’une constitution et des lois, sauf à en changer les dispositions, à les modifier pour perpétuer sa prise de pouvoir et/ou la légitimer à posteriori.


Aprés la médiation du président du Tchad, hors CEDEAO mais mandaté par elle, aprés les manifestations quasiment hystériques désormais habituelles, banalisées en terre africaine, et autres provocations orchestrées à l’aide de drapeaux et de portraits imprimés à la hâte du nouveau chef de junte, qu’en est-il de la situation à Niamey ? Quelle suite réservée à ce coup d’État laborieux de la garde présidentielle auquel nous venons d’assister ? Un sommet de la CEDEAO s’est tenu à Abuja, sous la présidence du chef de l’État nigérian Bola Ahmed Tinubu. Des sanctions sévères sont prévues. La session a donné un délai d’une semaine pour un retour à la légalité constitutionnelle au Niger et le retrait de la junte du pouvoir usurpé ainsi que la libération du Président Mohamed Bazoum.

Auxquels nous pouvons ajouter, désormais, l’ensemble des ministres et personnalités politiques arrêtées par la junte du général Tchiani au cours de la nuit, ces dernières heures. Le jour de gloire des héritiers des tirailleurs soudanais, aprés le sacage de l’ambassade de France et autres provocations presque infantilisantes, semble s’éloigner encore un peu plus sous la pression diplomatique de nombreux pays africains et européens. La junte aura crié à un soit-disant complot contre elle sans preuve tangible. La manoeuvre dilatoire a peut-être pour but de se justifier à postériori.

Wait and see. Aprés l’euphorie, la grisaille de l’usurpation de pouvoir et de fonctions.



À Fréjus


À Ouarzazate



Le palais de Kaocen

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