La cigogne et la mémoire
Chekib Abdessalam / Abderrahmane Mekkaoui
Sommaire
- Mémoire humaine
- Sommeil léthargique
- Ennemis préférés
- Fabrique à terrorisme
- Abdelmadjid Chikhi et Jean de la Fontaine
Mémoire humaine
De mémoire d’homme, plonger de plein pied dans les méandres de l’histoire, demeure une histoire de haut vol.
Depuis l’indépendance de l’Algérie, le système de renseignement fondé par le colonel Abdelhafid Boussouf a construit, outre la terreur et l’arbitraire, les trois piliers de l’Algérie post-coloniale qui permettent à ses dirigeants de gérer une population bigarrée, de la souder et de vainement tenter de construire une nation fictive ex-nihilo, malgré toute contradiction, envers et contre tous. Cette doctrine, probablement insufflée par quelque branche de la gauche française, se focalise sur trois fonds de commerce ou desseins bien clairs, fort utiles pour amuser la galerie.
Depuis, l’eau a coulé sous les ponts. Cependant, les mêmes rengaines occupent encore le devant de la scène. Le rideau est levé. Aujourd’hui, en ce contexte, une commission mémorielle franco-algérienne, composée d’historiens choisis, se voudrait à pied d’œuvre.
Pourtant, Alger n’est pas arrivée à définir ses revendications à l’égard de la France. Les points d’achoppement sur la durée de la guerre, sur le nombre de victimes des massacres de mai 1945 et sur la « révolution populaire » ou événements de la Toussaint de 1954, persistent.
Les Algériens, du moins leurs représentants de fait, insistent sur 70 ans de guerre dixit Abdelmadjid Tebboun, président de la république. 70 années au moment de la conquête française, cela n’est pas précisé. Contrairement aux propos d’Abdelmadjid Tebboun qui a parlé de « guerre de 70 ans », lorsque la conquête coloniale s’est propagée dans le littoral méditerranéen et le Tell, en 5 jours, seulement, le régent ottoman d’Alger abdique et se sauve. Les rébellions et les résistances à l’Ouest et à l’Est du port barbaresque disparates, non coordonnées, obéissant à leurs timing, à des moyens et à des motivations propres, voire en concurrence, en raison de la segmentarité tribale, territoriale, politique et historique, quoique opiniâtres se solderont par la victoire peu glorieuse de l’occupant. Chacun luttant pour la préservation de ses particularismes, Abdelkader, Boumaza, les Hadjouts, El Mokrani, Fatima n’Soumer, Bouamama, et tant d’autres, résistent chacun en son terroir et la pacification s’arrête à Laghouat, ville marocaine des souverains fondateurs de la dynastie alaouite au 17e siècle, rasée en 1852, à Tihert – ibadite puis idrissite - et à Constantine.
Un siècle plus tard, cette résistance se transforme en matière à démagogie, à falsification, une mystification au service d’un régime arrivé au pouvoir par le putsch, l’assassinat et le mensonge. L’histoire devient dès lors, jusqu’à aujourd’hui, une denrée que l’on vend et que l’on achète.
Sommeil léthargique
Le premier fond de commerce, ou complaisance qui n’a jamais eu d’autre but que l’endormissement de la foule, est celui de la question de la mémoire. L’oligarchie militaire qui prend le pouvoir en septembre 1962 s’installe et développe une propagande de type totalitaire à son service. Les programmes scolaires, universitaires, « académiques » et médiatiques sont conçus comme des programmes de bourrage de crâne de bas niveau à la portée des analphabètes. Il faut dire qu’en 1962, ceux qui deviendront les Algériens sont à 90 % analphabètes. Les foules en liesse sont bien encadrées. Les résistances et les quelques intelligences, cette fois, endogènes, sont strictement réprimées dans la violence, l’arbitraire et le sang. Éradication des maquis de Kabylie, assassinats politiques ciblés, emprisonnements, terreur, utilisation de police parallèle (ex. Philippe le Bel …) etc.
Aucune logique historique, aucune approche scientifique, aucune précaution ou réserve, il s’agit, en interne, de la déraison du plus fort à la conquête du pouvoir.
Ennemis préférés
Le deuxième fond de commerce qui fait s’agiter l’oligarchie, bientôt nomenklatura, a très vite pour objectif de créer des tensions permanentes ou crises sous contrôle avec le Maroc considéré comme un ennemi potentiel afin de détourner l’opinion publique et exporter les difficultés internes au frère voisin transformé en bouc-émissaire : on agite le spectre Maroc, devenu une affaire algéro-algérienne comme l’ennemi français de toujours auquel viendra s’ajouter plus tard l’ennemi israélien. L’Algérie indépendante se juge affranchie de toute reconnaissance envers ses plus grands soutiens fraternels durant sa guerre d’indépendance au premier rang desquels le Maroc, la Tunisie et la Libye. Elle a obtenu des miettes et la co-gestion d’un immense territoire. Vis à vis du royaume marocain, elle peut maintenant trahir et cracher sur la soupe.
Ainsi, par exemple, il est fort utile de comprendre à quel point des questions comme celle qui sont systématiquement liées au désormais ennemi Maroc servent à dissimuler la spoliation du Sahara, c’est à dire la Saoura, la Tajakant, le Gourara, le Tidikelt, l’Ahaggar et les Ajjers, composantes du grand Touat. La fiction et la criminalisation du Polisario va également servir, depuis des décennies, à occulter le démantèlement de l’empire chérifien au moment des indépendances par la puissance colonisatrice et par son complice bénéficiaire du tracé unilatéral des frontières coloniales, le FLN algérien.
De la même façon, dans cette stratégie d’enfumade du FLN, l’ennemi France a pour fonction principale de mobiliser, de dissimuler pour agiter et de cacher les insuffisances du régime et de détourner les regards des trahisons des essais nucléaires, du vol des territoires chérifiens et de la spoliation du Sahara oriental tout en continuant à incriminer et charger de tous les maux de la terre la France tout en y investissant les sommes faramineuses du détournement de la manne pétrolière et à envoyer leur progéniture dans les écoles françaises et les quartiers chics de Paris mis en bouteille et, surtout à y implanter des millions d’immigrés pour son économie et se débarrasser à la fois de millions de chômeurs mais aussi d’opposants potentiels ou avérés. La France devient, à chacun son tour, et pour toujours, l’ennemi préféré de la régence d’Alger.
Fabrique à terrorisme
Le dossier de la grande manipulation, ou fond de commerce numéro 3, est celui du faux terrorisme, ce laboratoire du régime dans lequel il peut se livrer impunément et à l’abri des regards à toutes sortes d’expérimentations, guerre civiles à répétition, tortures, instrumentalisation de l’opinion publique nationale et internationale, continuation effrénée des cycles de répressions de 1962 à nos jours. Les Menteurs du régime politico-militaire d’Alger présentent l’Algérie comme étant le pays le plus ciblé du monde par le terrorisme conçu dans les bureaux de la Direction du Renseignement et de la Sécurité sis à Dély-Ibrahim hantés par les allées et venues des virtuoses de la chignole, du fil électrique et du supplice non plus chinois mais algérien. Les chefs de cette sécurité militaire n’étant rien d’autres que des pervers narcissiques, égocentriques au cœur de pierre complètement déshumanisés obéissant à des officiers supérieurs ou subalternes atteints de démence alcoolique pathologique ou drogués aux amphétamines et autres substances destructrices des neurones du cerveau.
Abdelmadjid Chikhi et Jean de la Fontaine
C’est alors que, sans réelle surprise, intervient un animal migrateur à long bec et à longues pattes, qui sert aussi à désigner un levier ou dispositif de levage. La Cigogne au moment où la commission mixte algéro-française tente de trouver des solutions acceptables pour les deux parties fondées sur une réconciliation et non point sur des excuses humiliantes ou une repentance expiatoire du coté de la France, sur une reconnaissance des crimes contre l’humanité, de génocide et de crimes de guerre réciproques. Par le truchement de ce dernier point, les historiens auto-proclamés algériens tenteraient de récupérer l’archive française avec tous les crânes et le canon ottoman, Baba Merzoug, etc.
Au moment où les deux parties discutent sur la façon de normaliser les relations et de résoudre les questions en suspend, Abdelmadjid Chikhi, conseiller du président de la république algérienne chargé de la Mémoire et des Archives, a introduit une autre histoire, à dormir debout : l’histoire de la cigogne considérée par l’historien comme un moujahid, un martyr. Cette cigogne fait son nid sur le toit d’une caserne militaire française en 1961. Animal avisé, elle a eu l’idée de déchirer le drapeau bleu, blanc, rouge, et s’est même permise de déféquer dessus, selon l’historien. Un soldat l’a vue et a pointé son fusil sur la cigogne en tirant une balle sur sa cuisse. L’oiseau migrateur pacifique serait tombé dans la caserne et un conseil de guerre s’est réuni qui va condamner le volatile à la prison à perpétuité, toujours selon Abdelmadjid Chikhi. L’historien a confirmé qu’à l’indépendance, en 1962, il a soigné et photographié l’oiseau. Dans ce contexte, la cigogne devient, par cet acte de bravoure et de résistance et donc par sa participation à la guerre de libération, un moujahid qui mérite tous les honneurs et les dommages et intérêts de la France. L’historien était pré-adolescent au moment des faits. Comment a-t-il alors photographié l’oiseau, avec quel appareil ? Où se trouvent les preuves qu’il déclare détenir ? Pourquoi ne les a-t-il pas déjà publiées en sa qualité de responsable des archives et de la mémoire. Pourquoi n’a-t-il pas informé son binôme, coté français, Benjamin Stora ? Ainsi l’affaire de la cigogne devient vite une affaire d’État, qui devrait être mentionnée comme premier point à l’ordre du jour de futurs pourparlers Macron-Tebboun.
La cigogne, principal témoin, acteur d’un épisode de la grande révolution FLN, aujourd’hui se cache-t-elle, peut-être, pour échapper aux paparazzi ?
Pourtant, le delirium mince qui semble atteindre l’historien algérien fonctionnaire encarté ne serait que le résultat du plagiat d’une autre histoire, vraie, cette fois-ci, d’un corbeau qui a récemment déchiré le drapeau israélien. La presse en ligne l’a abondamment commentée, photos à l’appui.
Au lieu que monsieur Abdelmadjid Chikhi rappelle au bon souvenir de ses contemporains les martyrs maghrébins dans les maquis, à Saguiet sidi Youssef, les martyrs d’Oujda, les martyrs libyens et tous les autres martyrs, il propage un mythe prométhéen au service duquel il met sa science infuse.
En conclusion, les historiens algériens tentent de régulariser les clandestins de l’histoire en inventant de toute pièce, grâce à leur imagination fertile et à leur arrogance démesurée, des histoires à dormir de bout en bout, qui n’ont aucune logique scientifique, qui relèvent de la démence alcoolique ou psychiatrique.
Ce mahométan devrait s’inspirer du verset coranique suivant : « n’approchez-pas la prière quand vous êtes ivres jusqu’à ce que vous sachiez ce que vous allez dire ». Autrement dit, il faut tourner sept fois la langue dans la bouche avant de parler. Depuis l’indépendance, le parlement algérien n’a jamais voté une résolution pour criminaliser le colonialisme malgré que l’Algérie dispose d’archives. À plusieurs reprises des députés ont déposé des projets de résolutions contre le colonialisme sans suite. Mais la question n’est pas là.
Ce qui importe, c’est que notre historien émérite se prend pour Farid Eddine El-Attar qui comprenait le langage des oiseaux ou pour le prophète Suleimane ou Salomon, qui parlait aux animaux notamment les fourmis et les oiseaux. L’intercession de la Huppe a informé le prophète sur l’existence de la reine de Saba. Sans ce franc dialogue entre le prophète et l’oiseau, la face du monde aurait peut-être changé. Abdelmajid Chikhi, sans doute virtuose de l’imaginaire, désormais dans le secret des dieux, aurait-il l’ambition de réécrire, avec Benjamin Stora, les fables des moujahidines volants, ces oiseaux rescapés du gigantisme révolutionnaire, populaire et démocratique ?
En 1977, le Concorde s’envolait, avion supersonique d’Air France, pour la première fois, à destination de New-York. Aujourd’hui, au Musée de l’air et de l’espace, sis à l’aéroport du Bourget, où tout un chacun peut l’admirer, il jouit d’une retraite paisible. À quand un Musée de la Cigogne à Alger, prés du monument canadien surnommé Houbel (Mémorial du Martyr), peut-être, pour ratifier la concorde entre d’anciens signataires des Accords d’Évian, un temple en hommage au bel oiseau noir et blanc, cet échassier que l’on ne verra plus voler, condamné à perpétuité. Dans quel geôle se morfond-il ? Grace aux efforts du petit cigogneau du nom de Abdelmadjid Chikhi, la vérité historique reprend des couleurs.
La morale de cette histoire n’est autre que celle de Jean de La Fontaine, semblant s’adresser à monsieur Abdelmadjid Chikhi, historien de service, dans La cigogne et le renard :
« Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris, Serrant la queue, et portant bas l’oreille.
Trompeurs, c’est pour vous que j’écris : Attendez-vous à la pareille. »
Les ayants droit de la cigogne ayant entendu la morale de la fable réclamèrent aussitôt reconnaissance, justice et réparation.
Meilleurs vœux de réussite et longue vie à la Commission mixte algéro-française Histoire et Mémoire. Si la Cigogne est toujours de ce monde, si le réseau ne subit pas d’interférences majeures, peut-être, pourra-t-elle participer aux travaux de la commission en visio-conférence ?
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